Cannibales en costume de David Courpasson

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Couverture du bouquin

« Construire une carrière acceptable, voire une vie, malgré les autres, est en substance l’un des moteurs qui font bouillir les marmites contemporaines. » (p. 105).

J’ai eu David Courpasson en cours quand je faisais mon master recherche, je m’en rappelle encore, mais ce n’est pas ce qui importe ici. Partons d’un postulat : qu’il est souhaitable de vivre dans un monde où l’entraide, le lien social, le bien-être commun est une cible, ou plutôt un idéal, qu’il faut essayer d’atteindre. 

Maintenant, imaginons qu’après avoir mené 30 ans d’études, notamment sur la sociologie du pouvoir dans les entreprises, on fait face à une révélation : que l’idéal précédemment mentionné alors que désirable est en réalité ce sur quoi l’ensemble des personnes luttent plus ou moins directement les uns contre les autres. 

Voilà plus ou moins le “pitch” de ce livre. 

Une somme de récits compilés, de références solides, d’une expérience de recherche longue qui constate avec effroi que, sous couvert de renouveau des pratiques managériales, c’est le délitement de l’entraide, de la solidarité et de la considération de l’autre qui est quotidiennement le jeu du monde actuel. 

Avec un langage un peu austère et parfois même ésotérique pour mon petit cerveau, David Courpasson nous peint dans cet ouvrage un ennemi à abattre celui de l’hyper individualisme organisationnel. Si ce n’est pas formulé comme ça dans le livre c’est ce que j’en ai compris. C’est aussi une invitation à considérer l’autre, à prendre soin de l’autre, et non pas à tenter de le dépasser dans une course folle, sans objectif et sans réel prix à la fin qu’une éphémère satisfaction d’avoir été “devant” ceux qui sont derrières. 

En fait, on pourrait presque arguer qu’il s’agit là simplement d’un prisme de sociologie critique appliquer aux pratiques individuelles dans les organisations. Et on n’aurait pas tort. Mais l’intérêt du livre est triple, d’abord il n’est pas dans le registre de la dénonciation des méfaits du capitalisme (déjà bien documenté) mais tente d’aller plus loin sur les rôles de chacun ET du système, deuxièmement, il n’est pas dans un registre purement “scientifique” et donc sans se cacher derrière un vocabulaire trop difficile ou des “longueurs” méthodologiques on comprend l’histoire qui se joue (même si une annexe méthodologique aurait été agréable, bien que, je crois, il s’agit plus d’une “réflexion” longitudinale sur une somme de matériaux sociologique récoltés depuis 30 ans) enfin, c’est si clairement écrit et bien que sans “alternative” clairement proposé le cadre permet de réfléchir à notre propre aspiration et action.  

Bref, pour moi c’est à mettre absolument dans toutes les mains notamment celles qui pensent que parce que le bien-être matériel, physique, global a augmenté que tout est bon dans la société post- bureaucratique moderne. 

Quelques extraits :  

p. 138 “Ce cannibalisme en col blanc et bien repassé est devenu un facteur éminent des relations sociales telles qu’elles dégénèrent de nos jours. […] Cette sauvagerie d’un autre temps peut alors s’accommoder avec l’idéologie antagoniste, celle du cœur, de l’indulgence, de la prévenance, de la sympathie, de la clémence voire pourquoi pas de la gentillesse. Des mots et des valeurs ringards, faiblement conjugable avec le quotidien concret du travail contemporain, mais omniprésent dans les paroles des experts et édiles douceâtres et hypocrites qui affectent de nous faire croire qu’ils cherchent le bonheur des gens.” 

p. 161 “Nul n’est a priori plus efficace, ou plus moderne, ou plus en avance, ou que sais-je encore, sous prétexte qu’il détiendrait l’idée de ce qu’il est bon de faire ou que l’essor vers le nouveau vaudrait amélioration de la vie en soi, par la seule magie du mouvement. La logique chaude de l’indulgence informelle, assurée par des décennies de camaraderie et de voisinage, a elle aussi son efficacité propre, comme la bureaucratie de la surveillance et de la discipline peut en avoir une aussi, fondée sur un autre mode de vie au travail. Mais, en effet, lorsqu’une société souhaite affirmer sa supériorité sociale et éthique sur une autre, elle accuse cette dernière d’archaïsme, c’est à dire de vouloir conserver des pratiques qui n’ont plus lieu d’être.” 

David Courpasson (je me rappelle de ses cours plus de 10 ans après…) P. 105. » Courpasson, David. Cannibales en costume : Enquête sur les travailleurs du XXIe siècle. P. 138. FRANCOIS BOURIN, 2019

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